Le voyageur mélancolique
Ai-je longtemps conduit mes pas sans m'égarer ?
Moi l'enfant des soirs nains, que chaque pierre incise
Et qu'un pauvre idéal étreint jusqu'à pleurer
Devant le sein troublant d'une belle indécise.
Comment ! N'aurais-je pas en chemin assez vu
Les âges moutonneux dévorés par l'abîme ?
N'aurais-je pas su voir, chancelant, dépourvu,
L'être qui se défait dans la chair qui s'abîme ?
Oh ! j'ai vécu si mal, oui si mal, n'importe où.
Je n'ai jamais connu l'alphabet clair des choses
Ni le vrai ni le faux ni même encore tout
Ce que le rêve attache aux plus infimes causes.
J'ai promené mon doute et mon aspect changeant
Sur les débris épars d'on ne sait quel commerce,
A peine moins falot qu'un fétu surnageant
Au coeur de l'onde grise où le bien se disperse.
J'ai marché loin, trop loin, en vieil homme épuisé
Sous les nuages lourds des batailles perdues,
Fantôme du hasard, loqueteux, écrasé
Qui tend à l'infini ses deux mains éperdues.
Je n'ai rien deviné, je n'ai rien découvert,
Non rien que la tremblante amertume de vivre,
Ayant froid tout l'été, suffoquant tout l'hiver
Et confondant partout le soleil et le givre.
Poème extrait de "La Blessure des Mots"
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